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Danièle Godard Livet

L'héritage (de Johnny), une passion bien française


enterrement de Johnny Halliday

L'héritage de Johnny fait la une depuis plusieurs semaines et chaque jour apporte de nouvelles révélations. Les magazines people les relayent mais cela va plus loin : Michel Onfray se prononce https://youtu.be/jMiz7ArULzg , la revue Capital nous explique…on appelle sur les plateaux des notaires et des avocats, mais aussi des conseillers familiaux et des sociologues de la famille...ce qui n'a jamais été le cas concernant les dispositions testamentaires de Liliane Bettencourt.

Les titres sont frappants et les prises de position tranchées :

  • Johnny Halliday aurait-il commis l’irréparable en déshéritant ses enfants ?

  • 73 % des Français ne comprennent pas le testament de Johnny.

  • Lætitia, ange ou démon ?

  • Deux clans opposés.

  • Qui soutient qui dans la famille ?

  • Un affrontement de ténors du barreau.

  • Loi française contre loi californienne.

  • Un mystérieux trust gérera son héritage.

  • Comment Brigitte Macron a convaincu David et Laura d’assister à l’hommage à la Madeleine.

  • La lettre posthume de Laura à son père.

  • Héritage de Johnny : Bercy s’en mêle

Et timides sont les interrogations sur l’importance du patrimoine, possiblement grevé de dettes (fiscales ou autres) importantes elles aussi.

Mais des petits malins ont déjà lancé une fausse cagnotte sur leetchi pour aider les héritiers désavantagés !!!!

Au tout début, le sujet ne m’intéressait pas, aujourd’hui il me passionne pour ce qu’il dit de notre rapport bien français à l’héritage et pour ce qu'il nous oblige à apprendre d'autres cultures. L’héritage est en France un sujet éminemment politique :

– dont les règles actuelles de transmission prioritaire par filiation et d’égalité entre les enfants nous viennent de la révolution française.

– règles d’imposition des transmissions sur lesquelles les Français sont très mal informés et qu'ils jugent souvent confiscatoires, alors qu'elles sont plutôt légères (du moins en ligne directe des ascendants vers leurs descendants)

Les règles successorales ont une histoire et ne sont pas partout les mêmes

Avant la révolution française, en droit écrit comme en droit coutumier, il existait toujours une part réservataire (la légitime) limitant la liberté de la personne partageant son patrimoine ; elle était du tiers ou de la moitié des biens selon le nombre d'enfants et s'étendait aux ascendants ou aux collatéraux en l'absence de descendants. C'était la seule limite à la liberté du détenteur du patrimoine, limite que l’on s'efforçait de contourner (grâce à des clauses préciputaires et un régime dotal pour les filles) pour éviter le morcellement du patrimoine, soit par testament (en pays de droit écrit), soit par contrat de mariage de l'héritier choisi (en pays de droit coutumier).

la Convention décrète, le 7 mars 1793, que « la faculté de disposer de ses biens, soit à cause de mort, soit entre vifs, soit par donation contractuelle en ligne directe, est abolie, et que, en conséquence, tous les descendants auront une portion égale sur les biens des ascendants ».

Les révolutionnaires pensent ainsi abolir une pratique considérée comme aristocratique (à travers le droit d'aînesse et les clauses préciputaires)….alors qu'elle était largement répandue chez les bourgeois et les paysans, pour peu qu'ils aient du bien.

Progrès notable vers l'égalité certes, quand on se rappelle que les femmes étaient souvent lésées dans les héritages et leurs dotes souvent payées avec retard ou pas du tout ; progrès aussi quand on sait qu'en Tunisie (pays où pourtant la constitution reconnaît l'égalité entre hommes et femmes), aujourd'hui encore, une femme n'hérite que d'une demie part par rapport à un homme.

Toutefois en s'étonnant que d’autres pays accordent une totale liberté dans la répartition du patrimoine, on fait juste étalage de notre ignorance et de notre franco-centrage post-révolutionnaire.

Les doits successoraux en ligne directe ne sont pas confiscatoires en France. Des transmissions plus précoces et une progressivité de l'imposition en fonction des montants transmis pourraient être imaginés.

Les droits successoraux perçus par l'Etat varient en France entre 5 % et 60 % et sont essentiellement fonction du lien de parenté avec le donateur et le défunt et non, pour bien des transmissions, de l'importance des montants transférés dans le temps. De plus, les régimes d'exonération totale ou partielle existant (contrats d'assurance-vie, transmission d'entreprises….) et les abattements accordés (100 000 euros en ligne directe) profitent essentiellement aux détenteurs de patrimoine déjà important.

Pourtant les Français pensent souvent l’imposition des transmissions comme confiscatoire (et Michel Onfray ne fait pas exception parlant du chèque de 30 euros qu’il a reçu de son père après son décès et jamais daigné toucher et du taux d’imposition de 60 % de l’héritage) et François Hollande n’est pas revenu sur les allègements décidés par Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat.

Quelques voix s'élèvent pour craindre qu'on aboutisse à une « société d'héritiers » aggravant dramatiquement les inégalités et pour souhaiter changer les règles actuelles de la transmission. « Le think tank institutionnel France Stratégie part d'un constat : le système d'imposition des donations et des successions en France accentuerait les inégalités de patrimoine. Les actifs provenant des héritages représentent aujourd'hui 19 % du revenu net global des ménages contre 8,5 % voilà 35 ans et devraient peser pour un quart des revenus d'ici 2050. De plus, ce sont les seniors qui ont le plus bénéficié de ces transferts. Grâce aux transmissions à titre gratuit les sexagénaires sont quatre fois plus riches que les trentenaires alors que l'écart n'était que de 1 à 2 dans les années 80. Et ce phénomène devrait s'accentuer puisque l'allongement de la durée de la vie, on hérite de plus en plus tard, à 50 ans en moyenne aujourd'hui, soit huit ans de plus qu'en 1980 . […]« Pour éviter que le patrimoine soit hérité à un âge avancé par une petite partie de la population, France Stratégie propose notamment une modification des règles d'abattement et de taux d'imposition. Ces derniers seraient fonction du patrimoine global hérité par les individus au cours d'une vie et non fonction des montants perçus à chaque transmission. Autrement dit plus un donataire et/ou héritier percevrait d'un donateur et/ou défunt au cours de leur vie respective, plus il serait taxé. Il s'agit ainsi "d'inciter les détenteurs de patrimoine à disperser leur héritage".(source l'express Successions et donations : les propositions révolutionnaires de France Stratégie Par Robin Massonnaud, janvier 2017)

Personne ne sait comment la justice tranchera l'affaire de l'héritage de Johnny. Mais il est certain que c'est une affaire de famille et qu'à ce titre, elle rejoint toutes les affaires de famille que chacun peut avoir rencontré dans sa famille actuelle ou dans sa généalogie et à laquelle il peut s'identifier.

Une histoire d'argent ? Une histoire de reconnaissance ? Une histoire de transmission ? Sans doute tout cela à la fois. Avec en plus une plongée au plus profond de notre inconscient avec les thèmes bien connus de la punition de la mègère comme dans les contes de fée ou celui de la préservation de l'image parfaite et inattaquable du père comme dans une tragédie grecque.

Il est certain que l'histoire du testament de Johnny plonge au plus profond de notre imaginaire et qu'on en entendra parler longtemps encore.

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