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Danièle Godard Livet

Ma voisine me soupçonnerait-elle de ratirage* ?


*le ratirage : ce vilain geste consiste à mordre d’une ou de plusieurs raies le champ du voisin. En résumé du vol. La passion de la terre acquise are par are rencontre là son expression extrême.

barrière le long d'une propriété

J'habite à la campagne, un lotissement qui, comme beaucoup, a été construit sur d'anciennes terres agricoles. La maison où je vis fait partie de ces hameaux isolés de la commune; en 1825, à l'époque de l'établissement du cadastre napoléonien, trois maisons existaient déjà au hameau de La Buchette, deux ménages parents y vivaient dont ma voisine est la descendante directe.

la buchette 1825 (cadastre napoléonien)-2015 (google maps)

C'est dans les années 1800 que la famille Viannay apparaît à Lissieu, venant de Dardilly. S'ils ont un lien de parenté avec le brave curé Viannay, c'est un cousinage lointain mais sans doute réel.

Au premier recensement disponible sur la commune en 1836, André (1810-1885) s'installe à la Buchette avec sa femme juste après son mariage; il perdra rapidement cette première épouse et sa soeur Antoinette (1799-1870) l'y rejoindra bientôt avec son mari Alexandre Cusin...un ancien soldat de Napoléon qui vivra assez vieux pour être décoré par Napoléon III de la médaille de Ste Hélène*

Ils sont sans doute vignerons, possèdent quelques terres (ont-ils profité du démembrement du domaine de Montfort vendu par Théodore Durozier à la mort de sa femme ?), en louent d'autres (à la propriété du château de Montvallon ?).

André se remarie rapidement et les deux ménages peuplent progressivement les trois maisons de nombreux enfants (beaucoup de filles, heureusement car il ne semble pas y avoir place pour plus de deux patrons !) et sans doute construisent des extensions et achètent de nouvelles terres.

En 1841, ils sont huit; en 1862, douze; quinze en 1881; mais plus que onze en 1891. les filles se marient et partent, les vignes sont détruites par le philloxera et la Buchette rentre dans des années sombres.

Il n'y a plus que quatre habitants en 1901 (un vieux célibataire, maire de Lissieu de 1888 à 1908 et sa soeur célibataire, une vielle mère et son fils), deux en 1911 (le vieux célibataire et sa soeur), deux en 1921(un jeune couple parent qui ne restera pas).

Dans les années 30, les affaires repartent avec l'installation des parents de ma voisine dont le couple occupe la buchette après son mariage (aux côtés d'une famille de locataires non apparentés). Sa mère est une descendante directe d'André Vianney, son arrière-grand-père.

Ma voisine n'occupe plus les maisons historiques qui ne sont même pas louées; elle n'entretient pas non plus le terrain qui jouxte ma maison et sur lequel je m'efforce d'empêcher le développement de ronciers qui envahiraient ma terrasse. L'an dernier, le grillage de séparation entre nos deux terrains est tombé sous les poids des lierres qui le colonisaient. Pas plus tard qu'hier, elle a fait remonter, avec poteaux, béton et grillage, une clôture sur toute la longueur de son terrain... de peur sans doute que je me livre au ratirage, cette sournoise pratique qui consiste à s'approprier quelques centimètres de la propriété du voisin.

Ce que ne sait pas ma voisine, c'est que je suis, moi aussi, petite-fille de paysans et que mon lointain ancêtre Gilbert (1740-1820, mon AAAAAGP) était comme elle, plus qu'attentif à protéger la terre dont il avait hérité. Toute contente de me retrouver un peu "en famille" avec cette voisine , je crains plus que tout les exigences de mes futurs voisins qui seront peut-être bien plus contraignantes.

*Louis-Napoléon Bonaparte « voulant honorer par une disposition spéciale les militaires qui ont combattu sous les drapeaux de la France dans les grandes guerres de 1792 à 1815 », une médaille commémorative fut accordée à tous les survivants. Il appela cette nouvelle décoration « Médaille de Sainte-Hélène ». La médaille fut créée par décret le 12 août 1857 ; À l'avers se trouve le profil de l'empereur Napoléon Ier, et au revers ce texte : « Campagnes de 1792 à 1815. À ses compagnons de gloire, sa dernière pensée, Ste Hélène 5 mai 1821 ».

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