C’étaient pourtant des marins aguerris ! Qui n’avaient peur ni de la grosse mer ni des mouillages aventureux. Leur bateau s’appelait Octobre et en bons disciples de Lénine, ils en étaient très fiers.
Partis de Pontrieux le 9 septembre, ils étaient déjà en Casamance fin octobre après de longues escales aux Canaries. C’étaient de bons marins ! Des grincements dans la barre les avaient inquiétés, mais le contrôle à Tenerife et un bon graissage avaient mis fin à leurs soucis.
Ils manœuvraient bien et prudemment (jamais de vent arrière ou de spi pendant les quarts de nuit), maîtrisaient bien les hauts fonds avec sondeur et cartes, connaissaient les dangers des usages indigènes (pêcheurs aux immenses filets planqués dans leurs pirogues sans lumière, balisages autochtones). C’étaient d’excellents marins équipés, expérimentés et cultivés.
Remonter le fleuve Casamance à la voile fait partie de ces choses que l’on se doit d’avoir faites au moins une fois dans sa vie (tous les marins vous le diront), l' étape obligée d’une transatlantique buissonnière. Ce petit goût sauvage de la terre d'Afrique qui fait rêver et un peu pleurer (avec les crocodiles)
Ils en étaient donc là, à remonter le fleuve Casamance au moteur, par 45° et en l’absence de tout vent, lorsque le moteur les lâcha (surchauffe). A la dérive au milieu des pirogues, ils mouillèrent au petit bonheur la chance. Nouveau souci en reprenant la route vers Ziguinchor, le guindeau électrique rendit l’âme pour des raisons obscures. Il y a des équipements qui ne sont pas faits pour les chaleurs extrêmes !
Ce n’était pas si grave, on peut remonter son ancre à la force des biceps ! Cela ne faisait pas peur à quatre gaillards bien bâtis, mais en marins prévoyants, ils commandèrent l’objet en Angleterre pour se le faire livrer à Ziguinchor.
Et l’attente commença. Très active au début, il fallait prévenir les amis qui avaient pris leurs billets pour les Antilles et les Amériques qu’un léger retard serait à prévoir, il fallait aussi raconter ses déboires aux autres plaisanciers, comparer les expériences et en rire (c’est ainsi que se forge l’expérience des marins) et puis découvrir les spécialités locales et regarder les filles aux belles cambrures.
Tout cela va un temps, mais le tiep, le poulet yassa, le mafé, même arrosés de bière, vient un moment où vous ne les supportez plus, votre estomac les refuse et votre nez même, n’en peut plus de ces odeurs de bois qui brûle et de nourriture trop grasse.
Restent les bières, consommées pour se désaltérer, se rafraîchir, puis doucement pour oublier que vous êtes à Ziguinchor depuis plus de quinze jours, comme des cons et qu'il n'y a plus que les dauphins que cela amuse encore.
Alors viennent les suggestions, les hypothèses, les alternatives, les discussions à n’en plus finir sur la meilleure manière de sortir de ce trou à rat. Finie la gamberge exotique sur « Délivrance » ou « la 317e section », vous êtes avec Conrad « Au cœur des ténèbres » et vous vous demandez si la déraison ne guette pas vos compagnons. Finies les images pour se faire peur, maintenant vous avez peur vraiment. Bien plus que des ouragans Lorenzo et Pablo qui agitent l’atlantique depuis votre départ. Peur de vos compagnons de voyage, peur de la folie du capitaine, peur de la mutinerie de l'équipage, ces autres grandes angoisses des gens de mer.
Ceci est une pure fiction et je souhaite bonne route aux marins que vous pouvez suivre sur leur blog