Après la désignation d'Annie Ernaux comme prix Nobel de littérature 2022, c'est son discours (diffusé deux jours avant la réception par Jean Luc Mélenchon sur FB et présenté par elle-même trois jours avant sur France Inter) qui fait écrire et parler.
Dans son discours, Annie Ernaux m'a semblé à son meilleur quand elle parle de son expérience de la lecture et de l'écriture, de ce que peuvent l'écriture et la lecture. Je la trouve alors pertinente, consciente de ses choix et claire dans son expression "car aucun choix d'écrire ne va de soi".
"Il ne s’agit pas pour moi de raconter l’histoire de ma vie ni de me délivrer de ses secrets mais de déchiffrer une situation vécue, un événement, une relation amoureuse, et dévoiler ainsi quelque chose que seule l’écriture peut faire exister et passer, peut-être, dans d’autres consciences, d’autres mémoires." [...]
"Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité, allait devenir, jusqu’à aujourd’hui, mon souci constant en écrivant, quel que soit l’objet."[...]
"Cet engagement comme mise en gage de moi-même dans l’écriture est soutenu par la croyance, devenue certitude, qu’un livre peut contribuer à changer la vie personnelle, à briser la solitude des choses subies et enfouies, à se penser différemment."
Moins convaincante quand elle pense qu'ainsi on accède directement au politique : "Quand l'indicible vient au jour c'est politique."
Une étude conduite par Isabelle Charpentier sur les courriers de lecteurs adressés à Annie Ernaux Les réceptions « ordinaires » d'une écriture de la honte sociale : les lecteurs d'Annie Ernaux conduit plutôt à penser que ses lecteurs reçoivent les textes d'Annie Ernaux comme une lecture de "réconciliation" avec eux-mêmes, leur histoire et le monde.
Plus politique et plus modeste, plus écrivain et plus engagé et lucide aussi était Albert Camus dans ce même exercice de réception du prix Nobel de littérature le 10 décmbre 1957.
"Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, sans cesse partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante."
Mais à chacun sa propre lecture, sa propre expérience de lecture des textes d'Annie Ernaux et d'Albert Camus.
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