Dans certains cercles photographiques, qualifier une image comme appartenant au "style documentaire" est une quasi-insulte. J'ai des exemples récents ! D'un formateur des rencontres d'Arles (qui a dégoûté mon mari de la photo à tout jamais), d'un galeriste-conférencier à Lyon devant Claudine Doury et Monique Deregibus en Janvier 2020...
Le livre d'Olivier Lugon "Le style documentaire d'August Sander à Walker Ewans 1925-1945" est une révélation pour faire le point sur le sujet. En apparence difficile d'accès (énorme 435 pages, pauvre en illustration), il se lit comme un roman plein de passions déchaînées. Qui fréquente un peu les photographes sait qu'ils ne sont pas avares de prescriptions sur ce qu'est la bonne photographie, ni d'avis tranchés sur la production des uns et des autres. Olivier Lugon part justement de ce qui s'est dit et écrit sur la photographie par les photographes et les critiques (c'est un régal pour qui aime le débat, la contradiction, voire l'auto-contradiction, les petites méchancetés et les ragots) et il en dégage la définition claire et éclairante de ce qu'est le style documentaire et la description de son rôle (considérable) dans l'écriture de l'histoire de l'art photographique.
Qui n'a, comme moi, qu'une petite culture photographique, devra le lire en s'armant d'une bonne documentation iconographique ou faire des recherches sur internet (même si les rares illustrations sont remarquablement bien choisies pour permettre de suivre le propos), mais se créera d'un coup un bon bagage d'informations.
Ce qui est passionnant, c'est que toutes les positions prises par les tenants du style documentaire (contre d'autres "écoles" en particulier "pictorialiste" ou "nouvelle vision" , positions qui seront critiquées à leur tour par de nouvelles tendances allant du photojournalisme, à la photo humaniste et d'auteur) sont encore débattues et objets de conseils contradictoires chez tous les praticiens photographes, qu'ils soient amateurs ou artistes :
- les sujets dignes d'intérêt : banalité des jours, architecture vernaculaire, déchets, lettrage, publicité, sujets simples/sujets profonds,
- la place du photographe : effacement de l'auteur et refus de l'émotion /sensibilité individuelle et recherche de l'émotion
- la clarté des images, tons clairs , la frontalité, la netteté et le détail, extrême simplicité formelle/habileté de la prise et manière singulière
- les légendes : photo sans légende/ photo légendée
- l'attitude des modèles dans le portrait : posé/ non posé, regardant l'objectif ou non, souriant/non souriant
- la notion de série: collection de formes/série pour raconter une histoire
- l'editing et l'édition : choix par l'auteur de la prise de vue/délégation à d'autres métiers, mise à disposition large/ tirage limité.
Il suffit de fréquenter quelques lieux où l'on produit et débat de photographie pour comprendre que ces sujets sont loin d'être dépassés.
Moi, ce qui m'importe, c'est que textes et images peuvent co-éxister, s'enrichir sans que l'un légende ou commente l'autre. Pour Louons maintenant les grands hommes (Let us now praise famous men) Walker Ewans a tenu à ce que ses photos figurent en début de volume, mais le texte de James Atgee raconte aussi l'histoire à sa manière.
Lisez le livre d'Olivier Hugon, il vous fera du profit et merci à Eric Tabuchi et Nelly Monnier de l'avoir signalé comme livre de chevet.
J'avais déniché dans un vide-grenier un ouvrage Time Life de 1971 (édition française de 1980 ) qui fait un point remarquable sur la photo documentaire aux USA avec beaucoup d'illustrations de Walker Evans à Robert Franck et bien d'autres. Le livre est sans doute maintenant introuvable.