Il n'a pas échappé aux urbanistes réfléchissant à l'avenir de Lissieu (modification n°4 du Plu-H) que la petite ville manquait cruellement d'espace-centre. C'est la petite zone jaune intitulée "espaces publics à créer".
Cette situation est le résultat d'une histoire que j'ai eu plaisir à retracer.
L'école de garçons de Lissieu (ayant aussi fonction de maison commune et de logement de l'instituteur) avait été construite entre 1832 et 1834 sur un terrain communal servant de place publique à l'angle des trois chemins au coeur de Lissieu, en face du vieux château.
La suite de l'aménagement du centre de Lissieu est une succession de décisions municipales (sans doute influencées par les intérêts des maires successifs1) et de décisions échappant aux pouvoirs de la municipalité et de ses maires comme la construction de la nouvelle route (royale, impériale,nationale) 6.
Revenons sur cette histoire, pas à pas.
En 1833, Jean Théodore Durozier demande l'autorisation de construire un escalier sur la place publique, autorisation accordée sous réserve expresse des droits de propriété de la commune sur l'emplacement dont il s'agit. La zone est pentue, c'est encore le cas.
En 1837, Jean Théodore Durozier fait une proposition à la commune par l’intermédiaire d’un certain Bertrand, rentier propriétaire à Montluel : donner 600 M2 (12M x50 m) du jardin du vieux château devant la maison commune pour en faire une place publique. Il serait prêt également à donner à la commune la maison des sœurs qui a été construite sur la place publique2 et une partie de son jardin, à condition que cette maison reste consacrée à perpétuité à l’éducation des filles. Cela changerait un peu le cheminement pour aller à l’église dont l’accès se ferait entre les deux tours et longerait le vieux château au lieu d’en traverser la cour en diagonale.
Cette proposition reçoit un avis favorable, mais, prudent, du conseil municipal en refère au gouvernement. Des difficultés s'élèvent (dont on ne saura rien) et deux mois après, la proposition est considérée comme non avenue.
Un an après en 1838, c’est Joseph Chatron l’homme d’affaires de Jean Théodore Durozier (et nouveau propriétaire des Calles) qui revient avec une nouvelle proposition ; il a déjà vendu à Bail, Delorme et Fournier ce qui était proposé par Bertrand. Il offre à la commune ce qui reste de place entre les propriétés Bail, Fournier et Delorme et la voie publique et un passage de 5m à prendre au nord du chemin de Chasselay plus 300 F contre la possibilité de jouir en toute propriété et d’enclore par un mur toute la parcelle allant de la maison des sœurs aux deux tourelles formant porte gothique d’un côté et jouxtant la parcelle d’Antoine Charité de l’autre côté. Il fera à ses frais le passage autour du château pour rejoindre l’église et le cimetière comme l’avait proposé le sieur Bertrand.
Cette proposition est évidemment beaucoup moins intéressante pour la commune, mais elle l’accepte, à la seule réserve que la porte gothique soit conservée. Léon Fleurdelix est maire, il vient d’acheter le domaine de Bois Dieu. Son beau-frère de Charrin le rejoindra bientôt en achetant le domaine de la roue qui fait partie des possessions de Durozier avec qui il est sans doute déjà en pourparlers ; de Charrin veut surtout obtenir la privatisation du chemin qui traverse son parc quitte à en construire un nouveau qui rejoindra directement le domaine des Calles. et sera plus court et moins pentu pour aller à Bois Dieu.
Comme le terrain donné est vraiment exigu la commune achète 5 m supplémentaires à prendre sur la propriété de Bail, les 300F donnés par Durozier y pourvoieront.
On construira ausi un mur de terrasse sans enlever la terre comme il avait été prévu initialement pour mettre la place au niveau de la voie publique; cela conviendra mieux aux arbres qu'il est prévu de planter, car en décaissant on aurait sans doute vite atteind la roche. Cela devra se réaliser entre mars et avril 1839. coût 40 centimes additionnels.
En 1845, Durozier reconstruit la maison des soeurs mitoyenne du presbytère donné à la commune et désormais enclose dans un mur. Nouvelles dépenses pour la commune au titre de la mitoyenneté.
en 1849 la construction de la route nationale 6 mange une bonne partie de ce qui restait de place publique et laisse en mauvais état la partie orientale qui n'est pas occupée par la nouvelle route. Nouvelles réparations à prévoir car la zone est peu pratiquable et dangereuse.
En 1852, il apparaît que la route impériale n° 6 est plus basse que le chemin nord du bourg. Les deux mètres de différence ne peuvent être rattrapés que par un escalier à construire aux frais de la commune.
En 1854, Durozier donne la maison des soeurs à la commune pourvu qu'elle reste à perpétuité consacrée à l'éducation des filles. Le mur est conservé.
En 1861, on établit une fontaine publique sur la place publique en achetant une source au sieur Pinet. Elle servira à l'école et à la maison commune.
En 1866, le conseil décide de racheter pour agrandir la place publique à Bail et Delorme une partie de leurs propriétés où ils ont établi ateliers et terrasses ; ce que leur avait vendu Durozier 30 ans plus tôt, le don que la commune n'avait pas accepté. Le coût total s'élève à 1600 F (1100F pour Bail, 400 F pour Delorme et 50F pour acheter des arbres). André Thibaud est alors maire. C'est son père qui a construit en 1832 la maison mitoyenne de l'école et tient un café-restaurant-boulangerie en face de la place publique.
Ainsi s'est amenuisé pendant tout le 19eme siècle l'espace-centre de Lissieu. Tout cela est encore bien visible : enclosure du terrain des soeurs par un mur,presbytère et son grand jardin, mur terrasse de la place publique dite place des tours, rue des tours, escalier, fontaine publique. Le 20 eme siècle ne fera pas mieux en collant la nouvelle mairie-école (1905) en face de l'ancienne école de garçons, en acceptant la construction d'une épicerie accolée aux tours de la "porte gothique" (à laquelle la commune tenait tant un siècle avant) et des constructions nouvelles au nord de la rue de l'église. Il faudra attendre les années 1970-80 pour qu'on réfléchisse à nouveau à des espaces publics: place des bouleaux et place des tamaris, à peine plus grandes réunies que le beau jardin du presbytère.
Que faire pour recréer des espaces publics au centre de Lissieu ? Des idées ?
1 En 1830 François Tourret devient maire après la démission de Jean Théodore Durozier qui reste cependant membre du conseil municipal. Louise Durozier meurt en 1833, Jean Théodore est élu député de la Loire en 1834, elu en outre au conseil municipal de Feurs et de Salt en Donzy en 1838 choisit de siéger à Feurs , ne siège plus à Lissieu, sans abandonner ses propriétés pour autant. Héritier universel de sa femme, il organise la vente de ses biens en confiant procuration à des chargés d’affaires. Lorsque François Tourret démissionne en 1838 pour raison de santé, c'est Léon Fleurdelix qui devient maire pour deux ans, puis son beau-frère Charles de Charrin, puis de nouveau Fleurdelix jusqu'en 1859. Il sera remplacé par André Thibaud de 1859 à 1870.
2Les soeurs de St Joseph ont demandé en 1825 l'autorisation de s'installer à Lissieu; c'est donc entre 1825 et 1837 que cette maison a été construite à côté du presbytère (donné à la commune en 1835 par Durozier en fort mauvias état).
Bravo Danièle,
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ton récit !