C'est en lisant Baudelaire (1821-1867) fasciné par l'ordure, la boue et la charogne que m'est venue l'idée de comprendre comment Paris se débrouillait avant les travaux d'Haussmann et de Belgrand (l'ingénieur qu'il chargea des égouts, de l'approvisionnement en eau et des dépotoirs).
Au temps de Baudelaire (les Fleurs du mal ont été publiées en 1857), il y avait quelques égouts anciens auxquels n'étaient pas raccordées les tinettes et tout finissait dans la Seine ou à la voirie de Montfaucon pour les matières solides (la merde des Parisiens ramassée par des voitures qui descendaient nuitamment par la rue de Lafayette, du faubourg St Denis ou du Faubourg St Martin). Deux grands "collecteurs" emportaient tous les liquides vers la Seine : le grand égout de Paris pour la rive droite qui suivait plus ou moins à ciel ouvert l'ancien ruisseau de Ménilmontant et se jetait vers le pont de l'Alma et la Bièvre à ciel ouvert et avec ses nombreux bras qui descendait vers Austerlitz (égout auquel il faut ajouter ceux anciens et couverts l'égout Guénégaud et l'égout St Germain qui débouchaient en aval de l'île de la cité).
On puisait l'eau dans le canal de l'Ourcq et dans la Seine par les pompes de la Samaritaine (sur le pont neuf) et de Notre Dame en aval du pont d'Arcole. les porteurs d'eau la montait des fontaines aux appartements.
La voirie de Montfaucon s'étendait sur plusieurs hectares de bassin de décantation où l'on travaillait à mains nues la merde parisienne pour en faire de la poudrette. S'y ajoutait l'équarissage des chevaux, chiens et chats. Les rats pullulaient au milieu des ordures et tout le petit peuple (hommes, femmes et enfants) qui vivait là de métiers oubliés : chiffonniers, carriers, chaufourniers, briquetiers, prostituées, boyaudiers, teinturiers, asticotiers, équarrisseurs, débardeurs, ravageurs, poudretteux…
Théophile Gautier qui en fait la description commence le chapitre sur Montfaucon par la mise en garde suivante :
En 1878, les choses ont favorablement évolué :
- on a construit des aqueducs qui apportent de loin l'eau de la Dhuis et de la Vanne et de grands réservoirs (celui de Monsouris achevé en 1873 est alors le plus grand du monde); on ne puise plus dans la Seine que pour laver les rues et arroser les jardins;
- on a construit des égouts reliés entre eux et de grands collecteurs souterrains qui recueillent tous les effluents de la rive gauche comme de la rive droite (avec un siphon immergé au pont de l'Alma) pour les envoyer vers Asnières;
- la voirie Montfaucon a été fermée et envoyée vers Bondy (d'où l'expression désuète de "refouler à Bondy"...en attendant d'envoyer tous les effluents vers Asnières et plus loin vers Achères et Pierrelaye pour l'épandage sur les cultures.
- les carrières-dépotoirs des Buttes Chaumont sont devenues un jardin inauguré en 1867 (année de la mort de Baudelaire) lors de l'exposition universelle.
La France et Paris étaient très fiers de ces aménagements d'assainissement qui ont été largement montrés lors de l'exposition universelle de 1878. Paris était déjà très en retard sur Londres et d'autres capitales, mais comme le dit Théophile Gautier "Paris s'occupe infiniment de lui-même. ... Versailles est son Tombouctou"
En 1869 quand Monet, Renoir et Degas peignent l'un à côté de l'autre Les baigneurs à la grenouillère (Croissy), les collecteurs n'y déversent pas encore leur immondices, mais plus tard à Argenteuil, Gennevilliers, Chatou, Poissy... les impressionnistes peindront la Seine au milieu des champs d'épandage et des usines d'élevation des effluents de la capitale.
Merci à Gallica, Wikipedia et aux excellents blogs (vergue.com) que j'ai du consulter pour arriver à me faire une petite idée (sûrement bien imparfaite) de cette promenade dans Paris. Un autre texte s'attache plus précisément à l'obsession de l'ordure chez Baudelaire.
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