La postérité se souvient d’un maire pour ce qu’il a apporté à la commune et on lui reproche parfois d’avoir trop favorisé ses intérêts personnels. À Lissieu, il semble que ce soit tout le contraire : on se souvient des maires-châtelains qui avaient des titres et des propriétés, qui ont tenu à leur réputation et à leur salut éternel avec des dons à l’église et des tombes préservées plus que de ce qu’ont fait les autres maires, simples agriculteurs, ou parfois un peu plus (commerçants, aubergistes), à qui il a fallu un certain courage pour prendre des décisions politiques.
Pour la commune et les citoyens-maires, les réparations, aménagements, voire les procès nécessaires et les investissements collectifs. Pour les châtelains-maires, les ambitions politiques, les intérêts financiers et personnels qui l’emportent souvent sur l’intérêt général. Souvenons-nous, c’est l’époque que décrit Balzac ! Lissieu m’en semble la parfaite illustration (à l'échelle de ce petit village).
Détaillons un peu le bilan :
Les réalisations des simples citoyens-maires
Alexandre Ferlat (maire de 1792 à l’an 11) a géré toute la période révolutionnaire.
Étienne Rivoire (maire de l’an 11 à 1808) a géré la continuité; il est au conseil municipal de 1790 à sa mort en 1838.
Benoit Voisin (maire de 1808 à 1821) a géré les réquisitions suite aux batailles de Napoléon et à l’occupation du territoire, l’emprunt de 100 millions et les débuts de la restauration
Jean Duchamp (maire de 1821 à 1826 a courageusement défendu les limites de la commune contre le maire de Chasselay lors de l’établissement du cadastre napoléonien
André Thibaud ( maire de 1859 à 1870)a agrandi la place publique et construit une fontaine communale
Philibert Briard (maire de 1881 à 1884) a déplacé le cimetière et fait une place dans la tombe de sa belle-famille et de son fils à sœur St Thomas, institutrice communale.
Laurent Charité (maire de 1884 à1892) était là
Jean Claude Duchamp (maire de 1892 à 1819) a géré l’arrivée du train à Lissieu et la mobilisation de la Première Guerre mondiale
Les réalisations des châtelains-maires ?
Leur résidence principale est à Lyon. Leurs domestiques ne sont pas Lissilois. Ils ont leurs propres instituteurs s’ils ont des enfants. Ils sont néanmoins maires de la commune. Le mémoire d’une Lissiloise les appelle à juste titre « Les résidents secondaires à Lissieu au 19e siècle ».1
Stéphane Guyot (maire de 1826 à 1827) n’a assisté qu’à la séance du conseil municipal entérinant sa désignation. Il est mort en 1826 à 24 ans.
En revanche la commune (Jean Duchamp étant maire) saluera son père Jean Marie Guyot, devenu Guyot de Lissieu, premier comte héréditaire, qui a vécu toute la révolution y compris les heures les plus dures avec les Lissilois.
Marie Louise Guyot, épouse Durozier, laissera par testament une rente perpétuelle de 200 F à partager entre les pauvres de la commune et l’église. Elle construit aussi une chapelle nouvelle pour l’église.
Jean Théodore Durozier (maire de 1826 à 1830) a peu fait en tant que maire. Il a d’ailleurs rapidement démissionné pour briguer de plus hautes fonctions : député de la Loire en 1834, élu à Feurs et à Salt en Donzy, il ne siège même plus au conseil municipal. En revanche, il reste très présent à Lissieu jusqu’en 1854 comme le plus gros propriétaire foncier.Il a vendu ses propriétés et permis à de nombreux Lissilois d’agrandir leurs propriétés. On parle encore deux siècles après des propriétés de Guyot et de la réserve dont il était l’héritier universel via son épouse.
Il a donné à Lissieu le presbytère et son jardin contre une concession perpétuelle de 41 centiares pour les tombes de son épouse et son frère. Il A sans doute construit la maison des sœurs de Saint-Joseph, mais l’a enclose dans de murs et l’a leur a donnée à sa mort.
François Tourret (de 1830 à 1838) propriétaire de Montvallon a construit l’école de garçons.
Fleurdelix et de Charrin (maires de 1838 à 1859) ont agrandi le cimetière historique autour de l’église contre une concession perpétuelle pour leurs dépouilles. Ils ont fait des dons à l’église. Mais de Charrin sera surtout soucieux de privatiser le chemin vicinal qui traverse son domaine, certes contre la construction d’un nouveau chemin2. On ne les verra ni l’un ni l’autre se préoccuper des dégâts que causera la route royale n° 6 ni être enclin à préserver la continuité territoriale de Lissieu, la commune sans chef-lieu aux multiples hameaux, trop heureux de rester bien tranquilles dans leurs terres. Ils achèteront au contraire comme Brisson (un autre résident secondaire grand propriétaire) les chemins vicinaux devenus inutiles du fait de la route royale et construiront plus de murs autour de leur propriété qu'ils n'ouvriront de portes.
O’Mahony (qui ne fut jamais maire) propriétaire de Montvallon ne fera pas mieux en privatisant sans contrepartie un sentier qui traverse son domaine obligeant la commune à aller devant la justice et à perdre.
Perrin (maire de 1870 à 1875) achètera une concession perpétuelle qu’il n’occupera pas.
Je n’ai rien noté pour Chavanis Amédée (maire de 1875 à 1881). Son fils en revanche prêtera à la commune (à 5%) pour l'électrification. Mais c'est une affaire du 20eme siècle.
À la commune les réparations.
Le presbytère donné en 1835 par Durozier n’est pas en bon état, le clocher menace ruine, la pièce d’eau du presbytère n’est plus alimentée : les nouveaux propriétaires ayant exercé leur droit d’en détourner les alimentations. Il faut faire les réparations, construire un nouveau clocher et mettre des chenaux au presbytère pour qu’il retrouve au moins l’eau des toits pour alimenter le jardin.
En 1837 le clocher menace ruine, il faut en construire un nouveau. le conseil de la fabrique accuse un déficit de 995,99 F et devra encor pourvoir à la décoration de l’église et à l’ameublement de la nouvelle chapelle. Le conseil municipal ne peut payer et fait appel aux plus forts imposés de la commune qui disent ne le pouvoir n’ayant pas les ressources et étant déjà imposés pour l’école. On demande au préfet. Il paraîtrait que c’est Fleurdelix en 1841 (c'est écrit dessus, la date pas Fleurdelix) qui paye le nouveau clocher.
Quand en 1849 M. Durozier reconstruit une maison mitoyenne du presbytère , la commune accepte de prévoir 200F sur son budget au titre de la mitoyenneté et des aménagements qui seraient nécessaires dans le presbytère qui lui appartient désormais. Charles de Charrin est maire et la commune accepte et demande un secours au préfet, car elle a subi de lourds dommages du fait de la grêle.
C’est ainsi qu’en un siècle, outre l’entretien des chemins vicinaux (insuffisant de l’avis de la préfecture), la commune de Lissieu ne fera que quatre investissements conséquents :
- une école pour les garçons en 1834
- un lavoir public en 18493
- une fontaine publique en 1862
- le nouveau cimetière en 1883,
mais aura accepté des privatisations qui ont durablement modelé son centre en privant le village de place publique et détruit certains chemins de circulation. En l’absence de tout châtelain, le 21e siècle à Lissieu garde encore les traces de ces décisions du 19e siècle. On ne peut plus aller du bourg au Bois Dieu sans emprunter une route (sauf à connaître le chemin des rivières et celui de la cotonnière), on n'entre dans l'enclos des soeurs que pour les journées du patrimoine et le jardin du presbytère n'est ouvert à personne. Un village de carte postale !
1Anne Sophie Damotte
2Joseph Chatron, homme d’affaires de Durozier et acheteur à Durozier du domaine des Calles, fera de même en privatisant le chemin qui traverse son domaine. Est-ce le chemin construit en contrepartie qu’on appelle chemin neuf ?
3C’est peut-être au crédit de Charrin qu’il faut mettre la possibilité d’établir un lavoir public en 1849 à l’étang de la Roue (était-il encore sur son domaine ?)
Super de faire revivre tout ça. Passionnant de voir comment chacun fait sa place, pour lui ou pour les autres.