S’enforester est un beau livre. Par les photos d'une géographe devenue photographe, Andrea Olga Mantovani, et d’un philosophe, Baptiste Morizot*. Ils prennent pour cadre la forêt primaire de Białowieża, en Pologne et Biélorussie, dernier témoin des forêts qui couvraient le continent européen il y a dix mille ans lors de la dernière glaciation.
Classée en partie comme réserve naturelle depuis 1932, la forêt de Bialowieza est au coeur d'enjeux actuels:
en 2017 la cour européenne de justice condamne la Pologne à cesser les coupes d'arbres et à justifier toutes coupes nécessitées par la sécurité publique;
en 2022 c'est la construction d'un mur anti-migrants empêchant la circulation des ours bruns, lynx et loups qui alerte les défenseurs de la forêt.
Le livre d'Andrea Olga Mantovani et Baptiste Morizot n'évoque pas ces évènements mais prend un point de vue plus général. L'idée selon laquelle nous ne pourrions vivre sans les forêts.
La forêt non cultivée est historiquement la condition de la vie sur terre et actuellement la condition de notre survie physique et mentale.
Elle [ la biosphère] nous abrite, nous façonne, nous soigne, nous nourrit dans toutes nos dimensions - comme la forêt, c'est une altérité qui construit de l'habitabilité pour les formes de vie dont nous sommes. Un monde non fait de main de humaine, fait par le vivant, et dont nous recueillons les richesses en négociant des modus vivendi.
Or que faisons-nous depuis des siècles ? Nous consommons de plus en plus fort et de plus en plus vite.
La liste des accélerations pourrait s'ébaucher comme telle : la hache polie; puis le bétail qui pâture pour empêcher le retour de fronts de colonisation foretier; la diffusion massive du système agropastoral en Europe portée par l'impérialismed e Rome, par ses routes, son administration; l'usage significatif du feu par brûlis pour déforester; l'effet des explosion démographiques sur l'usage du bois de chauffe et de cuisson; les coupes massives; plus tard l'organisation de la forêt à destination des charbonnières de la révolution industrielle; la tronçonneuse couplée au tracteur; la foresterie "rationnelle"; l'abateuse mécanique; le marché mondial financiarisé du bois; la comensation carbone et le bois énergie; le réchauffement climatique.
La forêt nous concerne tous, même à Lissieu. C'est la raison pour laquelle je ne cesserai jamais de déplorer l'extractivisme** gratuit qui a conduit à couper les 130 chênes centenaires du bois de Montvallon qui donnait au bourg de Lissieu un charme particulier. Si vous ne connaissez pas l'histoire, je l'ai racontée ici.
Nos réglementations ne protègent pas assez la forêt ( un espace boisé classé de moins de un hectare peut être coupé sans autorisation pourvu que les souches ne soient pas enlevées), mais sans entrer dans de grandes réflexions philosophiques ou écologistes le sens commun et la mobilisation citoyenne*** pourrait le faire. Il n'est pas question de s'enforester, juste de prendre conscience.
*Baptiste Morizot est un philosophe très facile à lire et très concret. je vous conseille "Sur la piste animale" où il raconte ses expériences de pistage et les réflexions qu'il en tire.
** le terme d'extractivisme est devenu commun pour désigner les méfaits de l'anthropocène; il vient à point ici pour un propriétaire de bois qui est aussi exploitant de carrière.
***Que serait le lotissement de Bois Dieu et ses 360 maisons, sans la forêt préservée ? Un lieu peu désirable, comme l'est aujourd'hui la colline nue qui domine le centre de Lissieu.
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