Sur le chemin de Montaigne

La chaîne des Puy vue depuis la roche branlante

Michel de Montaigne en voyage depuis 1580 vers l'Italie par la Suisse, l'Allemagne et l'Autriche est rappelé en France parce que devenu maire de Bordeaux. Ce voyage est célèbre : Montaigne l'a raconté* ; le rapide retour en France d'octobre à novembre 1581 ne tient que quelques pages, mais désormais le GR89 suit ses traces.

Depuis Lyon en ce samedi 12 avril 2025 nous n'avons pas pris le vrai chemin de Montaigne qui suivait dit-on la voie aquitaine des Romains par La Bordelière, L'Hopital, Thiers, Pont du château et Clermont ; nous avons commencé notre route sur A89 qui suit grossièrement la nationale 89 et le GR89 et nous nous sommes arrêtés pour manger au bord de la Sioule à Pontgibaud comme Montaigne qui s'y arrêta 21 novembre 1581.

Nous n'avions certes pas acheté à Lyon "trois courtaus neuf par le billot deux cens ecus; & le jour avant avois acheté un cheval de pas de cinquante escus, & un autre courtaut trente trois". Nous avions fait le plein au Leclerc de Civirieux d'Azergues pour 65,52 euros et n'étions pas attendu par Madame de Lafayette dont Montaigne n'apprécia ni le château ni le jardin.

PONGIBAUT, où j'alai saluer en passant Madame de la Fayette**, & fus une demie-heure en sa salle. Cete maison n'a pas tant de beauté que de nom; l'assiete en est leide plustost qu'autremant; le jardin petit, quarré, ou les allées sont relevées de bien 4 ou 5 pieds: les carreaus sont en fons , où il y a force fruitiers & peu d'herbes, les côtés desdicts carreaus ainsi enfoncés, revetus de pierre de taille. Il faisoit tant de nège, & le temps si aspre de vant froit, qu'on ne voîoit rien du païs.

Pontgibaud n'est pas sans charme. Les pompiers sont à l'exercice et pompent l'eau de la Sioule, un promeneur "qui n'est pas du pays, mais de Pontaumur" m'explique que la grande cheminée qui domine le village correspond sans doute à une ancienne activité minière, ce que me confirme le panneau explicatif d'un édicule désert : c'est la buanderie municipale construite en 1907 permettant aux jeunes mineurs célibataires de faire leur lessive dans des cuviers chauffés par une chaudière associés à des bacs de rinçage. En 1921, la buanderie délaissée sert de dépôt de carburant pour les autobus. Elle est aujourdhui la maison des boulistes. Nous n'allons pas au château mais apprenons qu'on exploitait la galène en Combrailles autrefois et qu'on fondait ici des lingots d'argent. Nous ne visitons pas plus le musée de la mine.

Nous sommes attendus à Rochefort-Montagne dans une fort jolie maison agrémentée d'un beau jardin fleuri et d'une vue sur tous les volcans d'Auvergne de la chaine des puy ay massif du Sancy. Si le temps est gris, il est moins âpre que celui que supporta Montaigne. On est en avril pas en novembre.

La troupe est dyamique, gourmande et sensible aux charmes auvergnats des lacs (Servières et Guéry), des volcans (roches Tuillère et Sanadoire) et de l'art roman (Orcival). Un peu étonnée de l'industrialisation de la production du fromage fermier de Saint Nectaire (Ferme le roc certifiée agriculture biologique).

Nous laissons Montaigne qui longe le plateau de Millevaches par le nord vers Limoges. l'A89 nous fait passer au sud vers Tulle et Brive. Il souffre beaucoup entre Pont Sarrant et Felletin :

Ma teste n'étoit pas bien; & si les orages & vans frédureus & pluies y nuisent, je lui en donois son soul en ces routes-là, où ils disent l'hiver estre plus aspres qu'en lieu de France.

Nous retrouvons Montaigne à Périgueux dont il ne dit rien (et que nous ne traversons pas) si ce n'est que plus il se rapproche de chez lui et plus le temps lui dure. Il a acheté un mulet à Limoges :

& y achetai un mulet quatre vingt dix escus-sol, & paiai pour charge de mulet de Lyon cinq escus, ayant esté trompé en cela de 4 livres car toutes les autres charges ne contarent que trois escus & deus tiers d'escu. De Limoges à Bourdeaus on paie un escu pour çant. Le Dimanche, 26 de Novembre, je partis après disner de Limoges,[...] Le Jeudi, jour de St-André, dernier Novembre, coucher à Montaigne, sept lieues: d'où j'étais partis le 22 de Juin 1580, pour aler & la Fere.Par ainsi avoit duré mon voyage 17 mois 8 jours.

Nous nous arrêtons à Chalais avant Bordeaux où nous attendent nos deux amis, grands-parents modèles et leurs huit ados et pré-ados dans leurs maisons des bois de Chalais. Courses, lessives et préparation des repas sont au programme. Il pleut beaucoup, mais pas autant que quelques jours plus tard où l'Isle, la Corrèze et la Dordogne sont en crue.

Nous refaisons le plein à l'Intermarché de La Roche-Chalais, les stations étant fort rares autour de Périgueux (88,88 euros). Nous rentrons le 20 avril, jour de Pâques, après seulement neuf jours de voyage et 162,20 euros de péage. Montaigne avait mis quinze jours entre Lyon et Bordeaux en s'arrêtant fort peu; payé 5 chevaux et un mulet plus les charges de mulet de Lyon à Bordeaux. Il est plus rapide de voyager aujourd'hui et peut-être moins cher.

*le retour de Montaigne de Lyon à Bordeaux pp557 à 562 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102055b/f574.item.texteImage

** sans doute jacqueline Motier de la Fayette morte en 1616 qui apporta Pongibaud à la grande famile auvergnate qui compte aussi l'autrice de la Princesse de Clèves (marie Madeleine Pioche de la vergne, comtesse de la Fayette 1634-1693) et le combattant de la guerre d'indépendance des Etats Unis et de la Révolution française(Gilbert 1757-1854)